Nadia Salah, directrice des rédactions au quotidien marocain l’Economiste : « Une fake news est l’autre bout de l’information »

Que signifie, selon vous, une fake new et qu’est-ce qui la différencie de la rumeur ou autres formes de désinformation ?
Une fake news est l’autre bout de l’information, qui peut être de la désinformation. La rumeur c’est un petit peu à part. Dans les phénomènes d’information, on a quatre catégories : l’information vraie et crédible, l’information vraie et non crédible, l’information fausse et crédible, et l’information fausse et non crédible. La rumeur aura tendance à être crue si elle prend en cible trois choses : les gens et les entreprises qui ont du pouvoir, les gens et les entreprises qui ont des problèmes de sexes, et les gens et les entreprises qui ont de l’argent. Par exemple, tous les sept ans, il y a une rumeur qui fait le tour de la terre qui dit que McDonalds met des verres de terre dans ses sandwichs. Pourquoi on attaque McDonalds ? C’est parce qu’il a du pouvoir et de l’argent. Si on ajoute le sexe à la rumeur elle deviendra impossible à combattre. Donc le sexe, le pouvoir et l’argent créent des rumeurs avec de grandes chances qu’elles se répondent. Enfin, il y a une autre manière de réussir une rumeur, c’est de faire la dissonance cognitive. La dissonance cognitive c’est quand je dis quelque chose qui est contre-intuitive. Par exemple : le médecin a tué son patient. Le médecin est fait pour soigner et s’il fait le contraire de soigner, ça va m’intéresser.
Maintenant les fakes news. Depuis que l’homme est homme, depuis qu’il sait raisonner, qu’il sait parler, il utilise de fausses informations. Il est intoxiqué par les fausses informations, il les utilise lui-même pour intoxiquer les autres. On sait dans l’histoire qu’on a utilisé des fake news comme arme de guerre. Le cas le plus meurtrier que l’on connaisse c’est quelque chose qu’on appelle « la bleuite ». Cela s’est produit en Algérie lors de l’occupation française où les mouvements d’indépendance commençaient à s’organiser. Le capitaine Léger a eu l’idée de faire courir une rumeur indiquant que tous les Algériens qui parlaient français étaient défavorables à la colonisation et donc traitres aux premières cellules d’indépendances qui commençaient à exister. Le commandant Amrouche soutenu par le Maroc à l’ouest, n’a rien trouvé de mieux, quand la rumeur est arrivée, que d’exécuter tous ceux qui parlaient français. Ils ont perdu plus d’un tiers de leurs troupes, on parle de 3000 à 4000 hommes qui ont été exécutés du seul fait qu’ils parlaient français. C’est le cas typique d’une information fausse dans ce cas-là. La rumeur est une arme de guerre qui est colossalement efficace, c’est pourquoi il faut être très attentif. C’est pour cela que nos métiers de communicants et de journalistes sont des métiers de service public extrêmement exigeants.
Pour prouver qu’une information est une fake new, il faut remonter à sa source. Celle-ci est parfois, même souvent, anonyme. Quelle est votre sentiment par rapport à ce constat ?
Il faut examiner la rigueur de cette information avec tous les outils que je vous ai donnés. Ces outils-là vont vous permettre d’éliminer toutes les fakes news où il y aura du sexe, du pouvoir ou de l’argent. Cela va vous permettre d’éliminer les dissonances cognitives. Ainsi vous pourrez éliminer une grande partie de ces informations qui sont vraies et crédibles, vraies et non crédibles, fausses et crédibles, fausses et non crédibles. Grâce à ces outils, il est possible de se protéger contre la majorité des fake news, mais pas la totalité.
Parfois les fake news makers sont ceux qui ripostent pour maquiller la vérité sous prétexte de rectification. Ils peuvent être des personnes, des groupes organisés ou des institutions. Cela n’est-il pas de nature à brouiller les pistes ?
Oui, ils peuvent être des armes de guerre. Entre les mains de gens malveillants, ils peuvent être vraiment des armes de guerre.
Quelles sont les retombées négatives des fake news dans le cercle politico-économique ?
Cela peut-être très destructeur. Au niveau politique il a fait disparaître, dans le cas de l’Algérie, plusieurs personnes uniquement parce qu’ils parlaient français.
Au niveau économique, l’appel au boycott a surgi de nulle part. On devine qu’il vient des amis de Benkirane qui ont attaqué trois grandes marques dans le paysage marocains qui sont Akhenouch en tant que tel, Sidi Ali et le lait Danone. On dit qu’il y a des monopoles, mais il suffit d’aller à l’épicerie pour se rendre compte que ce n’est pas le cas. Ce n’est pas parce que beaucoup de gens disent une chose qu’elle devient vraie. En revanche, elle peut devenir un phénomène politique. Ce n’est pas vrai que les Danone sont les plus chers mais si beaucoup de gens le disent, ça devient vrai.
Comment les informations mensongères peuvent-elle affecter la société ?
Toujours avec notre exemple. Si Danone ferme, ça sera un drame national.
D’autre part, le système fasciste en est un exemple aussi. Quand ce système monte, il déstructure votre environnement de manière à vous affaiblir psychologiquement et mentalement. Vous vous direz « est-ce que je suis sûr de ce que je sais ». On devient dans une instabilité informationnelle grave sans pouvoir s’y retrouver. Le deuxième point important est que les systèmes fascistes créent une instabilité du système judiciaire. Au Maroc, le système judiciaire n’est pas fiable, il a beaucoup d’erreurs de fonctionnement donc il y a déjà un terrain favorable. Le troisième point est l’insécurité. Quand un système fasciste a créé une instabilité de votre information, une instabilité de votre système judiciaire et une insécurité physique, vous êtes bon pour le nazi.
Que pensez-vous des fakes news qui concernent le divorce du roi ?
En appliquant notre outil : on a du sexe et du pouvoir et probablement beaucoup d’argent. Méfiance. Je ne sais pas si c’est vrai ou pas. Faut-il que la famille royale annonce ce genre de chose ou le démente ? Est-ce que ça affecte le Maroc ? S’il est malade, oui. Mais s’il divorce, pas forcément.
Pourrait-ont venir vraiment à bout des fake news, alors qu’elles semblent être au cœur de l’interactivité entre les internautes ?
C’est vrai qu’on n’aurait pas grand-chose à dire sur Facebook ou tweeter s’il y n’avait que de bonnes nouvelles. Malheureusement, on finit par jeter le discrédit sur toutes les informations, les bonnes et les mauvaises. Ce qui est un peu gênant car la population serait sujette à être attaqué par le fascisme.
Quels procédés de fact-checking utilise l’Economiste pour se préserver des fakes news ?
Une vérification tout le temps. Le groupe Eco media est la plus grosse rédaction du pays, donc il y a beaucoup de collaboration entre les diverses rédactions, beaucoup de vérifications, beaucoup de sources.
Interview réalisée par
Sara Boutaleb (ESJC)