Le cinéma s’invite dans la Serre

Par: Mouna Aghlal
La Serre Harizonta dont la neuvième édition a eu lieu les 3 et 4 décembre derniers au parc de la Ligue arabe de Casablanca. C’était l’occasion de rencontrer des artistes de renom.
Le soleil se couche, les réverbères du boulevard Rachidi sont déjà allumés. Nour-dine Lakhmari, le réalisateur connu pour ses films percutants à l’image de Casanegra, vient d’arriver à la Serre. Il est accompagné du réalisateur Ahmed Boulane, cinéaste qui a commis, entre autres, le film Les anges de Satan ainsi que du journaliste Wadii Cherrad. Ils s’installent tous les trois chacun dans un fauteuil mis en place au fond de la serre.
La pression sociale, lourde et invisible
La solitude et la rédemption sont les émotions principales dégagées dans les films de Nour-dine Lakhmari, en faisant le lien entre sa vie à Safi et celle vécue en Norvège. Il explique que ce pays scandinave; nation stéréotypée par un mode de vie moderne et des gens «froids», est en fait un pays moderne, mais avec une société non pas «froide» mais juste «réservée». Il dit que «dès que l’on rentre (dans un foyer norvégien), on sait déjà si on est aimé ou pas».
De retour au Maroc, il fait face à une nouvelle réalité. La société marocaine qui parait chaleureuse et soudée en surface, est en fait «envahissante». Autrement dit, les Marocains sont seuls sans jamais vraiment l’être. Nour-dine Lakhmari estime que cette compagnie n’est pas forcément saine, puisqu’elle se base sur le principe de «je t’aime, parce que je suis obligé de t’aimer».
Par ailleurs, le réalisateur met en lumière le poids énorme que portent les Marocains sur leurs épaules; «La religion, la famille, la Hchouma (Honte) et la tradition». Il explique que ces quatre identités culturelles empêchent les Marocains et les jeunes de réaliser de nombreuses prouesses dans les domaines qui les passionnent. Dans Casanegra, il fait passer le message que le peuple marocain peut être libre dans sa manière de penser malgré le poids culturel sur le dos.
L’origine de la brutalité et la violence de ses films
Nour-dine Lakhmari est un réalisateur qui ne regarde ses films que pour en déceler les erreurs. Il considère ses films comme trop brutaux, il n’arrive pas à croire qu’il ait pu mettre en scène toute cette brutalité. Cependant, la rudesse de ses films n’est pas un hasard. Encore étudiant en cinématographie, l’élément déclencheur fut la projection, du grand classique Casablanca, un film sur la métropole marocaine où il ne se reconnaissait pas en tant que Marocain, sauf dans la peau «d’un serveur qui verse du thé avec un chapeau sur la tête». C’est pour lui le «trauma» !
Et partant de là, Nour-dine Lakhmari décrit la majorité des films marocains comme une production «des enfants en colère», parce que le Maroc n’est pas considéré à sa juste valeur. De nos jours, les cinéastes ne font plus attention à l’opinion européenne. Leur cible principale aujourd’hui ce sont les Marocains.
Nour-dine Lakhmari déplore aussi le fait qu’aujourd’hui beaucoup de jeunes ne connaissent pas leur pays, et donc ils ne peuvent pas s’y identifier. La belle prouesse de l’équipe nationale lors du Mondial du Qatar a été une occasion pour que jeunes et moins jeunes puissent revendiquer fièrement leur identité marocaine.

Cinéma, une question d’écran ?
Par ailleurs, la serre a accueilli Hicham Laasri, réalisateur du film The End et Yasmina Tamer la cofondatrice de la plateforme de streaming Aflamin, une initiative du cinéaste et réalisateur Nabil Ayouch.
Chacun d’eux est assis dans les mêmes places que nos précédents invités. Cette rencontre tournera autour de la question: faut-il ou pas numériser les films? Autrement dit, le streaming est-il une menace pour le cinéma?
Ce débat a été ouvert avec nos deux intervenants par ce qu’ils considèrent comme une réalité, les sites de streaming jouent un énorme rôle dans la préservation de la mémoire des films marocains. Pour Hicham Laasri ces sites ne risquent pas de faire de l’ombre aux écrans de cinéma, auparavant, “les films muets coexistaient avec la télé. Puis sont apparus les films avec du son en même temps que la radio. Mais avant tout cela, il y avait le théâtre. On pensait que l’existence des anciens formats serait menacée par l’apparition des nouvelles tendances. Or, ça n’a pas été le cas, «ils ont tous coexisté». D’ailleurs, le réalisateur affirme qu’il publie ses films sur des plateformes comme YouTube pour permettre au maximum de personnes de les voir ou de les revoir.
De l’autocensure…
Au cours de cette rencontre avec Yasmina Tamer et Hicham Laasri de nombreux arguments ont été exposés pour montrer les bienfaits de la numérisation des films. Par contre, une question s’est imposée, pourquoi les cinéastes n’acceptent pas le fait que leur film soit numérisé? En effet, certains cinéastes prennent très mal le fait que leurs films aient plus de succès sur Internet que dans les salles de cinéma. Pour notre réalisateur, c’est de «l’autocensure».
En parlant d’autocensure, l’objectif de cette 9ème édition de la serre est de donner l’occasion de discuter dans des endroits publics. La chargée de développement et de programmation de l’observatoire, Eugénie Forno, affirme que cette initiative, lancée par leur directeur artistique, Mohamed Fajeri, a pour objectif de rendre “ les personnalités du cinéma accessibles au grand public et dans l’espace public, à travers les débats et les projections cinématographiques”. Des initiatives qui gagneraient à être soutenues.