Face à la rage des avocats, ténacité de Ouahbi

.Les avocats protestent de nouveau
.Ouahbi: “je ne fais pas l’autruche” “J’espère que la tutelle retrouvera la raison”
Les pigeons qui habitent la place mohammed V étaient absents ce jour là. Ils ont laissé leur esplanade aux ténors du barreau de Casablanca pour manifester leur désaccord contre le projet de loi de finance. Il est environ 11h55 ce jeudi 24 novembre 2022. Les blouses noires sont devant le Tribunal civil de première instance. “Avocats en colère, justice en danger” en slogan sur les banderoles, pancartes et mégaphones aux mains, journalistes et estafettes de police…Tous les ingrédients d’une manifestation sont présents. Subito, une voix de stentor sort de nulle part : “Continuez la répression, jamais vous obtiendrez la soumission”. Et la marche commence !
Ce sont les nouvelles mesures fiscales qui ont poussé les toges noires à manifester. Le projet de loi de finance prévoit un prélèvement à la source sur la profession d’avocat ainsi que sur certaines professions libérales. Les ténors des barreaux devront donc payer des impôts sur chaque dossier traité. En détails : 300 DH pour chaque dossier porté devant les tribunaux de première instance. 400 et 500 DH pour ceux portés respectivement devant les tribunaux de seconde instance et la cour de cassation. Les avocats plaident pour un montant différent, ils veulent avancer 100 DH pour chaque dossier déposé devant le tribunal, selon Me Hicham El Ouahabi, bâtonnier du barreau de Tanger.
Les avocats du barreau de Casablanca ont organisé un sit-in devant le tribunal civil de première instance pour manifester leur désaccord vis-à-vis des nouvelles lois sur la fiscalité et la profession. (PH: A.O)
Sur ordre de l’Associations des Barreaux du Maroc, les blouses noires ne parlent pas avec la presse. Un quinquagénaire, environ 1m70, crâne chauve, gouttes de sueur sur le front, longue barbe poivre et sel a décidé de briser l’omerta et de donner des déclarations aux journalistes. “Les nouvelles restrictions fiscales feront autant mal à l’avocat qu’aux citoyens. Les cabinets seront obligés d’augmenter les tarifs pour payer ces montants…Les avocats ne sont pas tous riches, il y a des jeunes qui commencent à 5.000 ou 6.000 DH et d’ autres qui touchent 10.000 DH…”.
Les avocats reprochent aussi à leur tutelle de compliquer l’accès au métier d’avocat, de ne pas contester les nouvelles mesures fiscales et de prendre des décisions sans concertation avec leurs représentations officielles. “Abdellatif Ouahbi est un confrère, il a lui-même porté la blouse noire pendant plus de 30 ans, c’est une honte de le voir prendre de telles décisions… Demain ou après-demain il ne sera plus ministre et il va être rejeté par la profession…J’espère qu’il retournera à la raison…”, poursuit notre source qui part ensuite rejoindre ses collègues.
Contacté par nos soins à deux reprises pour parler des lois qui fâchent les avocats, Abdellatif Ouahbi, ministre de la justice, n’a pas décroché. Mais il a déclaré lors d’une conférence de presse le 1er novembre 2022 : “ J’assume la responsabilité des nouvelles lois sur la profession et sur la fiscalité, je ne fais pas l’autruche… C’est moi qui a proposé la loi à propos des impôts au ministère de la finance et je suis totalement convaincu… Les avocats n’ont jamais dit qu’ils ne veulent pas payer d’impôts.” Et d’ajouter : “Soit nous allons discuter, soit je vais lancer la procédure législative et les lois s’imposeront à nous.”
Il est environ 12h30 et la manifestation continue. Les blouses noires crient leurs différents slogans. “Avocats en colère, justice en danger, les avocats défendent le justiciable”, hommes et femmes de la profession étaient là à le manifester haut et fort. N’importe qui aurait compris que les ténors du barreau ne comptent pas payer plus d’impôts. Mais les chiffres dévoilés par Faouzi Lekjaa, ministre du budget mettent le feu aux poudres, car selon lui 50% des avocats du Maroc ne paient pas d’impôts. Le ministre a précisé devant la commission des Finances à la chambre des conseillers que “les avocats inscrits à l’administration fiscale s’élèvent à 8 837, alors que le nombre d’avocats dans le pays est d’environ 16.000. Le nombre d’avocats qui déclarent leurs revenus à l’administration fiscale n’est que de 6.600 et le nombre de ceux qui contribuent à l’impôt est de 5.788”. Et le ministre d’ajouter “90% des avocats paient moins de 10.000 DH d’impôts par an”.
Nous avons confronté notre source aux chiffres avancés par Faouzi Lekjaa, il fronce les sourcils, tente de botter en touche puis nous déclare : “Tant qu’on n’a pas obtenu nos réclamations, on va poursuivre nos manifestations.” Et visiblement les grèves se poursuivent. Dans un communiqué du 26 novembre 2022, le barreau de Casablanca a pris la décision de poursuivre toute forme de protestation.
Akram OUBACHIR 2.FF