Football et Ramadan : la polémique à tout prix
Chaque Ramadan, la question du jeûne des footballeurs professionnels se pose. Jeudi dernier la Fédération Française de Football interdisait officiellement toute interruption de match pour rompre le jeûne. La FFF a aussi demandé à ses internationaux musulmans de décaler Ramadan. Ces positions sont à l’opposé de celles adoptées en Angleterre. Nous avons essayé de mieux comprendre l’avis des sportifs et de la Religion sur le jeûne des footballeurs professionnels.
Ne pas manger ni boire du lever au coucher du soleil semble à première vue une mission difficile pour un footballeur professionnel musulman. Pourtant un grand nombre d’entre eux respecte à la lettre ce pilier de l’Islam malgré toutes les contraintes. Nous avons interrogé sur le sujet Abdeslam Ouaddou, ancien international marocain, entraineur et actuel Directeur Technique National du Bénin.
Pour l’ancien joueur de Fulham, « la diminution quantitative et qualitative du sommeil et également le temps de récupération impacte négativement le système immunitaire et augmente la vulnérabilité de l’organisme de l’athlète ». Ceci expose le footballeur de haut niveau aux blessures et diminue son rendement. « Ne pas boire jusqu’au couché du soleil peut provoquer une déshydratation avec des conséquences sur les fibres musculaires et par conséquent (sur) les performances physiques » a-t-il ajouté.
Adapter les entrainements au jeûne, une sécurité pour le sportif
Devenu entraineur, Abdeslam Ouaddou a profité de son expérience pour « analyser les différentes situations » afin de « mettre les athlètes dans les meilleures conditions». L’adaptation des entrainements et des matchs permettent en effet aux sportifs de jeuner en toute sécurité. Les pays musulmans le font. Certains pays européens comme l’Angleterre et l’Allemagne offrent cette flexibilité. Pour d’autres pays, comme la France, le football ne devrait pas s’adapter aux religions.
Abdeslam Ouaddou nous a confié s’être « interdit de jeûner durant les matchs de football et les séances physiques, mise à part dans un championnat de pays musulman». L’ancien défenseur central de Nancy et de Rennes, a souligné qu’il rattrapait « bien évidemment (ses) jours manqués » lorsque le corps était moins sollicité. « Je me dis que Dieu est omniscient, omnipotent et surtout miséricordieux au regard de la pénibilité et des risques » conclut-il.
La religion demeure pour les footballeurs musulmans, la seule qui puisse définir ce qui peut ou ne pas être autorisé. Nous avons contacté le conseil des oulémas de Nouacer pour avoir le point de vue de l’Islam sur le sujet. « La règle en Islam est l’obligation du jeûne pour tout musulman », précise en premier un ouléma de ce conseil. « Toutefois certaines exceptions pour les métiers pénibles en général sont clairement énoncées dans la religion » ajoute-t-il.
L’Islam autorise la rupture du jeûne sous conditions
Les autorisations exceptionnelles ne sont pas spécifiques d’un métier mais concernent la pénibilité ressentie au cours de l’exercice de celui-ci. « Il est par exemple autorisé, au cours du jeûne, de l’interrompre si une soif extrême est ressentie » souligne notre ouléma. Dans ce dernier cas, il est permis « de boire ponctuellement puis poursuivre le jeûne ; ce jour devra être décalé ».
Il est aussi noté explicitement dans le Coran que «Allah n’impose à aucune âme une charge supérieure à sa capacité» (Sourate Al Baqara, verset 286). Cela est aussi valable pour le sportif de haut niveau et pour tous les autres métiers. L’autorisation de rompre le jeûne est accordée pour la difficulté ressentie au cours d’un travail et non pas pour le travail lui même. L’ouléma rappelle qu’ « on ne peut pas présager à l’avance de la pénibilité » d’un métier, car « beaucoup pourront l’exercer en jeûnant sans éprouver aucune difficulté ».
La polémique des footballeurs jeuneurs
Les footballeurs professionnels musulmans exerçant en Europe se retrouvent à l’occasion de chaque Ramadan au cœur du débat sur leur jeûne. Beaucoup de voix s’élèvent pour défendre leur droit à la liberté de culte et pour inciter les instances et les entraineurs à ne juger que la performance des footballeurs indépendamment de l’exercice de leur foi.
Dimanche l’entraîneur de Nantes Antoine Kambouaré a écarté l’international algérien Jaouen Hadjam pour la réception de Reims car celui-ci souhaitait jeuner. Une décision qui a provoqué une vive polémique et qui n’a pas empêché Nantes de s’incliner 3 à 0. Lucas Digne, international français évoluant à Aston Villa, s’est opposé au refus de sa fédération d’interrompre les matchs pour permettre aux joueurs de rompre le jeune. Il a ironisé par un tweet qu’ « en 2023, on peut arrêter un match 20 minutes pour des décisions, mais pas une minute pour boire de l’eau ».
Le sujet continue à faire parler en particulier dans les championnats européens. Les footballeurs professionnels musulmans préfèrent pour la plupart garder le silence, principalement ceux évoluant dans un pays où toute flexibilité leur est refusée. On peut légitimement se demander si les positions de chaque fédération a un lien avec la perception globale de l’Islam dans le pays ?