LE CEDRE RESTERA EN VIE
Scénario de Docu Fiction dans le cadre d’un module sur la géopolitiqu.
Type de travail :
Scénario de Docufiction
Avertissement :
Ce récit est basé sur des faits réels et documentés. Toutefois pour des nécessités de scénario, certains rares passages pourraient relever de la fiction sans qu’ils ne concernent ni l’Histoire ni l’Actualité.
Beyrouth, mercredi 14 septembre 2022, la journée semble normale. Enfin presque. Une jeune libanaise du nom de Sali Hafez, fait irruption dans une succursale de la Blom Bank à Beyrouth. Toute de noir vêtue, elle monte sur un bureau et brandit un revolver. Ce braquage est diffusé en direct sur Facebook …
1994
Une nouvelle naissance vient égayer les jours de la famille Hafez. Les parents lui ont choisi le prénom Sali, qui signifie soleil. Sali rayonnera sur une famille déjà nombreuse mais qui vit assez confortablement dans un Liban se remettant d’une terrible guerre civile (1975-1990). Pendant 15 longues années le pays fut le théâtre de déchirement entre ethnies. Le bilan est lourd : de 130000 à 250000 victimes civiles et un exode de presque un million de personnes, des infrastructures endommagées, des pillages répétées, un PIB effondré…
Sali aura néanmoins une petite enfance normale, insouciante.
2006
Sali est âgée de 12 ans. Elle est bonne élève. Comme les enfants de son âge, elle aime jouer, s’amuser et sortir dans les rues de Beyrouth. Un jour paisible de juillet fut interrompu par une explosion, puis une autre, puis encore…se mêlant aux bruits des sirènes, et à de gros nuages de poussière. Israël attaque le Liban. Dans la continuité du conflit contre la Palestine, et accusant le Hezbollah de lancer des missiles, Israël entreprend une opération nommée « Pluie d’été ». Ce n’est pas la première fois qu’Israël attaque le Liban : opération Litani en 1978, opération « Paix en Galilée » en 1982, massacre de Sabra et Chatila en 1982, opération « Raisins de la colère » avec le bombardement de Cana en 1996 …
Sali se réfugie chez elle. Elle suivra cette guerre à la télévision. Ce conflit connu sous le nom de guerre de 33 jours est considéré comme une véritable victoire du Liban et du monde arabe dans le conflit les opposant à Israël depuis des décennies. Mais une guerre peut-elle réellement aboutir à une victoire ? Tout le monde n’y est-il pas perdant ? Les morts sont nombreux dans les deux camps et la terreur s’empare des populations civiles …
Sali s’en rappellera comme le premier traumatisme de sa vie. Ses vacances d’été furent pour le moins agitées. Un confinement forcé, des couvre-feux, des difficultés d’approvisionnement … Comme au lendemain de toute guerre, il faut se relever, reconstruire et psychologiquement aussi…se reconstruire. Comme au lendemain de toute guerre l’économie prend un coup, les liquidités se font rares et le marché perd toute confiance. Ne dit-on pas que ce qui ne tue pas rend plus fort. Sali Hafez en a fait l’expérience. 12 ans et déjà une force mentale impressionnante face aux images insoutenables, un esprit de solidarité, un avis politique, … N’étant particulièrement pas partisane du Hezbollah, ce parti politique chiite, actuellement au gouvernement et qui a la particularité d’avoir a lui seule une armée ; elle ne pouvait toutefois cautionner l’agression Israélienne.
C’est donc une nouvelle Sali, ayant pris plusieurs années en 1 mois, qui doit faire face avec sa famille à une situation beaucoup moins confortable économiquement. Sali continue ses études toujours avec le même succès. Elle devient architecte d’intérieur. Les commandes se multiplient. Elle opte pour un statut en freelance. Peut être un peu pour assouvir son amour de liberté. Il faut dire qu’elle n’a jamais aimé vivre sous les ordres de quiconque. Elle ne mâchait jamais ses mots pour contester ce qui n’allait pas à ses yeux. Son franc parlé masquait déjà une rebelle en herbes.
2019
Le Liban fait actuellement face à la pire crise économique de son histoire. La banque mondiale parle même de la crise la plus importante dans le monde depuis 1850. Le PIB est en chute libre et la livre libanaise a perdu 95 % de sa valeur en 3 ans. La dette du pays est estimée à plus de 86 milliards de dollars, ce qui représente plus de 150% du PIB. Cette situation provoque un rejet de la classe politique jugée inefficace et corrompue.
Les banques devant la rareté du dollar et la crise de liquidité imposent, sans cadre juridique, une restriction sur les comptes. Les libanais ne peuvent plus disposer de leur argent comme ils le souhaitent. La crise sociale voit le jour. Des milliers de libanais investissent les rues particulièrement à Beyrouth, devenue le fief d’une révolution pacifique.
Sali Hafez fait partie des manifestants. Son leadership s’est dévoilé au grand jour. Très active sur les réseaux sociaux, elle partageait ses journées mouvementées. Certes sa motivation fut personnelle avant tout devant des commandes qui se faisaient de plus en plus rares et un quotidien difficile ; mais elle souhaitait aussi faire partie de ce mouvement de renaissance du pays initié par sa génération. Les ministres, les partis politiques, les institutions…tous étaient considérés comme les responsables de la faillite du pays.
Sali et sa famille comme tous les libanais ont subi les nouvelles règles bancaires qu’on leur imposait. Aucun recours n’est possible bien que ces mesures n’ont, en soit, aucune base juridique.
Le think tank libanais Triangle avait comparé le système financier libanais à une pyramide de Ponzi. Une assimilation reprise par l’économiste libano-américain Nassib Nicholas Taleb et plus tard par la banque mondiale. Ce célèbre système frauduleux a permis au pays de rémunérer les anciens clients par les sommes apportées par les nouveaux clients, jusqu’à ce que l’équilibre soit rompu et que la pyramide s’effondre.
2020
Le Liban fait face à une crise sanitaire sans précédent provoquée par la pandémie au COVID 19. Le pays est en confinement et même la fête musulmane de l’Aïd Al Adha (02 Août) ne permet pas la levée du confinement. C’est donc cloitrée chez elle que Sali célèbre cette fête en famille. Le 04 Août vers 18h, sa quiétude est interrompue par une première explosion retentissante. Elle n’a pas le temps de comprendre ce qui se passe quand une deuxième explosion beaucoup plus forte plonge sa famille dans la peur.
La violente déflagration vient du port de Beyrouth. Un nuage en champignon s’élève dans le ciel. Le bilan est lourd : 215 morts, 6500 blessés, et 300 000 personnes ont perdu leur logement.
Les résultats de l’enquête concluront à l’explosion d’un entrepôt qui abritait 2750 tonnes de nitrates d’ammonium depuis 06 ans. Les autorités douanières avaient auparavant averti la justice du risque encouru mais en vain.
Ces explosions sonnent comment le coup fatal ayant assommé le cèdre, symbole du pays. La guerre, la crise économique, la crise sanitaire et maintenant ça … On parle maintenant de « malédiction », d’« enfer », d’ « anéantissement » du Liban.
Sali et sa famille sont sous le choc. Elle se demande si son pays se relèvera un jour ? Si cette situation n’est pas orchestrée avec complicité depuis l’extérieur pour faire payer la résistance et la fierté libanaise ?
2022
La famille de Sali apprend que Ikram, sa sœur ainée, est atteinte d’un cancer. Les traitements sont très couteux. Sali souhaite récupérer les provisions bancaires de sa sœur à la Blom Bank mais il n’y a aucun moyen de le faire. Les restrictions sont toujours là. Plusieurs demandes aux responsables de la banque sont formulées, mais sans succès … Sali clame son désarroi sur les réseaux sociaux. Elle refuse de voir sa sœur mourir sans rien faire.
Le 14 septembre elle se munit d’un pistolet, qu’elle déclarera ensuite être un jouet emprunté à son neveu, pour faire irruption à la banque. Elle se met sur un bureau et brandit l’arme. Elle prend le soin de diffuser son coup de force en direct sur Facebook : « je suis Sali Hafez, je ne suis pas venu ici pour tuer quiconque, je souhaite uniquement récupérer l’argent de ma sœur pour qu’elle puisse être soignée ». Après avoir récupéré 13 000 dollars sur les 20 000 de sa sœur, elle prend la fuite.
C’est un déferlement de soutien sur les réseaux sociaux. Le buzz est mondial.
Jamais un « braquage » n’aura été aussi soutenu … Les médias des quatre coins du monde font l’écho de l’information.
Les jours qui suivent plusieurs libanais imitent Sali pour récupérer leur argent.
Sali finit par être arrêtée et son procès s’est ouvert en octobre 2022.
Aujourd’hui le Liban est effondré sur tous les plans : la crise économique est la pire crise du pays. L’endettement atteint des records. Le pouvoir d’achat est au plus bas et l’inflation a explosé. Plus de 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté. La pandémie au COVID 19 et l’explosion de Beyrouth ont agonisé le pays. Et comme si cela ne suffisait pas, le Liban est aujourd’hui dans une impasse politique.
Où va le Liban ? Sali ne le sait pas. Elle continuera à se battre à l’image de toute la jeunesse libanaise pour ressusciter le cèdre ayant perdu toutes ses feuilles, mais qui heureusement tient encore par ses racines …