« Au Maroc, l’athéisme peut coûter cher »
La majorité de la population marocaine est musulmane, mais il existe également des communautés chrétienne et juive, ainsi que des minorités religieuses. Cependant, l’athéisme est souvent considéré comme un sujet tabou dans notre société, et les personnes athées peuvent faire face à tout type de discrimination et de pression sociale. Malgré que l’athéisme ne soit pas une position facile à prendre au Maroc, Amani est l’une des personnes qui ont choisi de ne pas garder leur non croyance secrète. Par conséquent, elle a perdu sa famille et a dû quitter son pays pour pouvoir bénéficier pleinement de sa liberté religieuse.
« Le jour où j’ai annoncé à ma famille que je suis athée, c’était comme une déclaration de guerre, une guerre sans fin ». Amani est née et a grandi au Maroc dans une famille musulmane mais pas trop conservatrice. La jeune fille de 28 ans ne cessait pas de se poser des questions dès son jeune âge, elle n’a jamais réussi à comprendre pourquoi elle est censée être toute couverte pour pouvoir se connecter avec Dieu, Dieu qui l’a créée nue ? Pourquoi son créateur lui oblige de se couvrir pour éviter « l-fitna » ? Pourquoi les femmes sont traitées comme des objets qui n’existent que pour servir les hommes sur terre et au paradis ?
Amani ne se sentait pas en sécurité au Maroc en étant athée, particulièrement durant le mois de Ramadan, car toute personne « connue pour son appartenance à la religion musulmane » et qui « rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du ramadan, sans un motif admis par cette religion » doit être punie, selon l’article 222 du code pénal. Il est également interdit à tout citoyen de critiquer l’Islam publiquement, sous n’importe quelle forme de contenu.
Après l’obtention de sa licence en études anglaises elle est partie faire un master aux états unis, et durant le mois de Ramadan sa famille qui tolérait largement le non-respect des cinq prières quotidiennes, l’appelait chaque jour pour s’assurer qu’elle faisait le Ramadan. Par peur de leur réaction, et en connaissant l’importance de la pratique du jeûne pour tous les musulmans, elle a gardé le silence. « Finalement oui je ne suis pas musulmane, mais je le prétendais pour gagner ma tranquillité », révèle-t-elle.
2 ans plus tard, Amani est rentrée au Maroc. Et là elle ne pouvait plus mener cette double vie, elle se sentait incapable de cacher ses idées et ses convictions. Sa maman l’a remarqué mais elle lui répétait « lah – yehdik », elle ne pensait pas que sa fille unique est devenue athée. « C’est scandaleux, c’est honteux, c’est la pire des choses qui peut arriver à une famille musulmane », nous raconte Amani.
En plein Ftour du 27eme jour du Ramadan, une nuit sacrée que les musulmans appellent « Laylat Al-Qadr » la nuit du destin, Amani n’a pas pu tenir longtemps et a lâché sa bombe quand sa maman lui forçait de l’accompagner à la mosquée. Amani : « J’ai choisi le mauvais moment, je le sais ! Mais je suis arrivée à mes fins ».
Après cette nuit rien n’était plus comme avant, elle voyait le dégout, la honte et la déception dans les yeux de ses parents. Personne ne lui adressait la parole, sa maman ne lui a même pas crié dessus, elle l’a juste regardé avec les larmes aux yeux et la main posée sur le cœur, c’était le plus grand choc de sa vie. « J’étais surprise par sa réaction, mais je savais que c’est le calme qui précède la tempête », nous confie Amani.
Aïd al-Fitr arrive, c’est une fête musulmane marquant la rupture du jeûne du mois de Ramadan, toute sa famille était réunie, les gens se félicitent et se partagent les cadeaux, pendant que Amani était seule dans sa chambre attendant l’arrivée de sa maman. Amani raconte : « Quand elle est venue me voir je me suis rendue compte que la déception que je voyais dans ses yeux s’est transformé en haine ». Sa maman lui a annoncé qu’elle a une semaine pour ranger ses affaires et quitter la maison, et oublier qu’elle a une famille. Ne lui laissant pas l’opportunité de s’expliquer, elle lui a dit : « Tais-toi ! Garde tes sales idées pour toi si tu ne veux pas te mettre en danger ».
Ça fait 3 ans qu’Amani ne vit plus avec sa famille, elle a essayé de les contacter et d’aller leur rendre visite à maintes reprises mais en vain. Sa maman refuse de l’écouter et lui répète que sa fille est morte. Amani avoue : « Je ne vous cache pas que la réaction de ma mère m’a brisé le cœur en mille morceaux, mais je savais dès le départ qu’au Maroc l’athéisme peut coûter cher ». Amani a quitté le pays depuis, et elle estime que « une telle déclaration ne nécessite pas seulement du courage, mais de l’indépendance financière aussi, car on risque de se retrouver dans la rue ».