Enfants de Gaza, comment survivre à l’horreur?
Leurs petits corps mutilés, amputés…, leurs cris de souffrance, leurs regards hagards et désorientés sont insoutenables. Les enfants de Gaza vivent un véritable calvaire depuis presque dix mois, persécutés pour des crimes qu’ils n’ont pas commis. Selon les estimations de l’ONU, un enfant est blessé ou tué toutes les dix minutes. Sur le plan psychologique, l’impact de cette guerre sur les enfants est considérable. Que risquent ces enfants meurtris en termes de santé mentale? La guerre terminée, pourraient-ils surmonter leurs traumatismes?
«L’enfant porte le traumatisme en lui, il peut revenir n’importe quand»
Amine Benjelloun, pédopsychiatre,
«La situation que vivent les enfants de Gaza est catastrophique. Ils sont exposés à des traumatismes violents, comme victimes ou témoins de ce qui serait une rencontre avec le réel de la mort, de la perte de proches. Ceci est d’autant plus grave que derrière cela, on retrouve une véritable intentionnalité humaine d’emprise et de pouvoir, qui se répète, voire s’amplifie.
L’événement traumatique, non dicible, non représentable, s’incruste comme un corps étranger dans le psychisme effracté de l’enfant (ou de l’adulte). Il est tellement brutal, qu’aucun travail de mentalisation (interprétation des comportements) n’est possible, aucun travail de souvenir non plus. L’évènement est là, incrusté, toujours autant intact et soudain, chaque fois présentifié. Entre l’événement traumatisant, et le psychisme effracté, il n’y a aucun filtre, aucun masque, aucune parole possible, aucun médiateur, aucun bouclier. Seules demeurent vivantes les sensations et les perceptions, inscrites dans un ou plusieurs sens. La vue (de cadavres, de corps mutilés, de maisons détruites, la peur et l’effroi dans les visages… L’ouïe (le bruit sourd des bombes, des balles qui sifflent, des maisons qui s’effondrent, les hurlements…). Le toucher (le froid d’une arme à feu, les blessures, le sang qui coule…). L’odorat (odeurs de cadavres, d’urine, de sang putride…). Le goût (du sang, l’amertume de la peur…). La proprioception (qui mobilise le corps entier, vibration sourde, ou une partie, comme la faim, la soif…).
Encore une fois, le caractère répété, intentionnel, tout autant qu’imprévu, avec une volonté d’emprise, met en place toutes les conditions pour la mise en place de syndromes de stress post traumatiques complexes, avec des phénomènes de sidération et de dissociation. La dissociation, avec création d’une nouvelle réalité toujours très angoissante, un fort sentiment de dépersonnalisation, est un marqueur de gravité, fréquent dans ces traumatismes complexes. Nulle part, l’enfant, l’adolescent, n’est à l’abri, portant désormais en lui le traumatisme, qui peut revenir sous des formes différentes, partout, n’importe quand. Les grandes fonctions s’en trouvent directement altérées (sommeil, appétit, socialisation, apprentissage…).
Toute la vie affective s’en trouve impactée, détruite, avec la perte de personnes chères, de personnes ressources. Des troubles de l’attachement et de la socialisation sont dès lors possibles. Outre les troubles anxieux sévères, paroxystiques, les attaques de panique…, des troubles dépressifs sont généralement là. Ils s’organiseront sous forme de dépressions, le tout avec ou sans dissociation.
Les évènements traumatiques subis depuis près de 10 mois impacteront à coup sûr la personnalité des bébés, enfants et adolescents survivants.
. «Les aider à être assez résilients pour renaître de leur souffrance»
«Le conflit israélo-palestinien a des répercussions profondes sur le comportement des enfants, exacerbées par des conditions de vie stressantes et traumatisantes. Les conséquences psychologiques à long terme peuvent inclure une variété de troubles et de comportements adaptatifs négatifs.
Sur le plan du développement cognitif, les enfants peuvent présenter des difficultés d’apprentissage telles que des problèmes de concentration, de mémoire, et une baisse des performances scolaires. Les troubles de la pensée, comme les pensées négatives persistantes sur soi-même et sur le monde, sont également fréquents, influencés par un environnement de guerre hyper violent et instable.
En termes de comportements adaptatifs, on observe souvent des comportements agressifs, incluant des réactions violentes ou autodestructrices, résultant souvent du stress chronique et du traumatisme vécu. Le retrait social, caractérisé par l’isolement et le désengagement social, peut être une stratégie d’adaptation face à des environnements perçus comme menaçants ou insécurisants.
Pour pouvoir accompagner ces enfants traumatisés par des mois de guerre, la première condition est de les rassurer et de les mettre dans des endroits sécurisés pour qu’ils n’aient plus peur. Il est crucial d’essayer de reprendre le plus rapidement possible une vie, la plus normale possible, en retrouvant le chemin de l’école.
Chaque cas d’enfant sera différent: il y a ceux qui ont toujours leurs parents pour les protéger, et les autres, les mutilés, amputés, pour lesquels il faudra faire un grand travail sur le corps et l’image de soi.
Il est essentiel d’aider ces enfants à être assez résilients pour renaître de leur souffrance et dépasser leurs traumatismes.
Boris Cyrulnik, neuropsychiatre renommé, souligne l’importance de la résilience dans ces contextes: «La résilience, c’est l’art de naviguer dans les torrents». Cette capacité à surmonter les épreuves et à se reconstruire est cruciale pour ces jeunes victimes. La reconnaissance et la considération que le monde portera sur leur histoire joueront également un rôle très important dans leur reconstruction.
Nul être humain ne peut survivre sans considération, sans reconnaissance. Comme l’affirme Cyrulnik, «Il n’y a pas de résilience sans environnement bienveillant».
Ces défis sont complexes et nécessitent une approche multidimensionnelle pour soutenir ces enfants dans leur développement psychologique et social.
Source photos: AFP