
La femme aux deux fronts
Casablanca, ville de contrastes et de défis, a trouvé en Nabila Rmili une figure à son image : énergique, résolue, et parfois controversée. Médecin de formation, gestionnaire aguerrie et femme politique au parcours fulgurant, elle incarne une génération de leaders qui jonglent entre plusieurs responsabilités. Mais jusqu’où peut-on être efficace en multipliant les rôles ?
Née en 1974 dans la métropole bouillonnante de Casablanca, Nabila Rmili n’a jamais connu les demi-mesures. Son engagement pour la santé publique débute loin des projecteurs, au Centre hospitalier provincial de Ouazzane, où elle exerce en tant que médecin urgentiste de 2002 à 2005. Une première immersion dans un monde où chaque seconde compte et où l’on apprend à prendre des décisions rapides.
Très vite, elle troque la blouse pour des responsabilités administratives. De médecin-chef à la préfecture Casa-Anfa à directrice régionale de la Santé pour Casablanca-Settat, elle gravit les échelons avec une ambition assumée. En 2020, en pleine crise du Covid-19, elle devient l’un des visages de la gestion sanitaire dans la région la plus touchée du Maroc.
Entre points de situation réguliers et mesures d’urgence, son visage s’imprime dans l’esprit des Casablancais, qui la découvrent sous un autre jour : celui d’une femme de terrain, mais aussi de décisions.
Militante du Rassemblement National des Indépendants (RNI), elle ne se contente pas d’un rôle technique. Son engagement associatif et politique l’amène à occuper des postes stratégiques : vice-présidente du conseil de la ville, présidente de l’Association des professions de la santé du RNI, et secrétaire générale de l’association Joud pour la solidarité.
L’échéance des élections municipales de 2021 marque un tournant : elle devient la première femme élue maire de Casablanca. Une consécration. Mais en politique, les succès s’accompagnent de turbulences. Sa nomination simultanée en tant que ministre de la Santé déclenche une vive polémique.
Peut-on diriger à la fois la plus grande ville du pays et un ministère stratégique, en pleine refonte du système de santé ? Face aux critiques et sous la pression, elle renonce à son poste ministériel au bout d’une semaine à peine.
Un revers qui aurait pu être perçu comme un échec, mais qu’elle transforme en choix assumé. « Les dossiers de Casablanca sont trop importants », justifie alors le chef du gouvernement Aziz Akhannouch. Pour ses partisans, c’est la preuve d’un engagement total pour la ville. Pour ses détracteurs, l’illustration d’une nomination précipitée et d’un manque de clarté dans la gouvernance.
Devenue la première femme à la tête de la capitale économique du pays, Nabila Rmili sait qu’elle est attendue au tournant. Casablanca est un monstre urbain : trafic congestionné, infrastructures vieillissantes, gestion des déchets problématique. Les attentes sont immenses, et le mandat sera un test grandeur nature pour cette femme qui a toujours revendiqué son pragmatisme.
Peut-elle transformer son énergie et son efficacité opérationnelle en une vision politique durable ? L’enjeu est là. Après avoir géré des crises sanitaires, elle doit désormais répondre à l’urgence sociale et économique d’une ville en constante mutation.
L’histoire de Nabila Rmili est celle d’une femme qui a toujours su s’imposer dans des sphères traditionnellement masculines. Médecin dans les urgences, gestionnaire en pleine pandémie, maire d’une mégalopole en quête de solutions… Son parcours est un modèle de résilience et d’adaptabilité.
Mais la politique obéit à un rythme différent de celui de la médecine : il ne suffit pas de diagnostiquer un problème pour qu’il disparaisse.
À 50 ans, elle est au sommet de sa carrière, avec un défi de taille : prouver que son style direct et son goût pour l’action peuvent se traduire en résultats concrets pour Casablanca. Sa capacité à convaincre, à rassembler et à tenir le cap déterminera si elle restera dans l’histoire comme une simple figure de transition ou comme la femme qui aura changé la ville.