Dès les premières minutes, le ton est donné. Elle s’excuse pour son français « un peu rouillé », mais rappelle qu’elle l’a utilisé toute sa carrière, et surtout affirme ne pas vouloir se poser en « maîtresse d’école ». « Le journalisme, ce n’est jamais des certitudes définitives, dit-elle. C’est toujours des questions, des doutes. Si vous vous posez des questions, vous êtes sur la bonne voie. » Elle insiste sur l’idée que le journaliste n’est jamais propriétaire de la vérité, mais engagé dans une quête : « Les faits sont sacrés. L’opinion est libre, mais les faits sont les faits. À nous de les chercher, de les vérifier, de les contextualiser. »
Pour elle, la crise du journalisme est d’abord une crise de valeurs. Dans un monde où tout semble pouvoir s’acheter et se vendre, elle alerte sur le glissement vers un système où l’information est évaluée uniquement à l’aune de l’audience, du buzz ou du profit. « Le journalisme doit servir l’intérêt social, le bien commun, pas les intérêts économiques, politiques ou technologiques », martèle-t-elle. Elle dénonce la tentation de l’info-divertissement, cet « info-entertainment » qui réduit les tragédies à des images « spectaculaires » et transforme les journaux télévisés en spectacles permanents. « On ne doit pas donner seulement un coup d’émotion, on doit donner un coup d’information », résume-t-elle.
La technologie est au cœur de son analyse, mais jamais comme un bouc émissaire. Pour elle, il s’agit d’un outil extraordinairement puissant, capable du meilleur comme du pire. Elle raconte son évolution personnelle, des reportages tournés en pellicule, envoyés par avion, aux premières caméras vidéo de 250 kilos, puis aux transmissions par satellite hors de prix, jusqu’à l’ère du smartphone où l’on peut filmer et diffuser en direct depuis n’importe où. « La technologie ne doit pas commander le journalisme, dit-elle. C’est le journalisme qui doit utiliser la technologie. Le couteau peut couper une pomme ou tuer quelqu’un. Tout dépend de la main qui le tient. » Elle met en garde contre la désinformation, les manipulations et la confusion permanente entre information et opinion sur les réseaux sociaux, tout en rappelant qu’Internet et l’intelligence artificielle peuvent aussi servir à démentir les mensonges, vérifier les faits et élargir l’accès au savoir.
Grande reporter, Rosa María Calaf a couvert de nombreux conflits, mais refuse l’étiquette de « correspondante de guerre ». « Je suis correspondante, tout court, dit-elle. J’ai travaillé dans des endroits où il y avait la guerre, mais mon centre d’intérêt, ce sont toujours les victimes, celles de la violence armée et celles de la violence de survivre chaque jour. » Elle raconte comment, en Indonésie ou en Chine après des tremblements de terre, son travail a consisté autant à témoigner qu’à protéger les personnes qui acceptaient de parler, parfois au péril de leur sécurité. Elle évoque aussi les décisions à prendre sur le terrain, comme renoncer à embarquer dans un hélicoptère plein de matériel de secours pour ne pas priver les populations de ressources vitales, même si cela signifiait arriver plus tard sur les lieux.
Aux questions des étudiants sur le numérique, les réseaux sociaux ou la couverture internationale, elle répond avec lucidité. Pour elle, l’ère actuelle est à la fois une menace et une opportunité. Menace, parce que la précarité économique pousse certains journalistes à accepter des conditions qui dégradent la qualité de l’information, parce que la course aux clics favorise l’émotion au détriment de l’analyse. Opportunité, parce que jamais l’humanité n’a disposé d’outils aussi puissants pour diffuser des connaissances, connecter les sociétés et donner la parole à ceux qu’on n’écoute pas.
Elle insiste enfin sur deux points souvent sous-estimés. D’abord, la centralité du journalisme local, qu’elle considère comme la base de toute bonne information internationale : « Toute histoire commence quelque part. Si le journalisme local ne fait pas bien son travail, le reste du monde ne comprendra jamais vraiment ce qui se passe. » Ensuite, la santé mentale des journalistes, exposés aux situations extrêmes, à la violence et à la pression permanente : sans accompagnement, c’est la société entière qui en paie le prix à travers une information maltraitée.
En quittant l’amphithéâtre, les étudiants n’auront pas reçu de recette miracle pour réussir dans le métier. Mais ils auront entendu une voix forte leur rappeler qu’être journaliste, aujourd’hui, c’est accepter d’être sceptique, exigeant, responsable, et de rester sur le terrain, au sens propre comme au sens figuré, pour continuer à donner aux citoyens les éléments dont ils ont besoin pour comprendre le monde et décider par eux-mêmes.



