À l’ESJC, une conférence animée par Basma Mawlawi et consacrée à l’association Dar Zhor a posé une question simple, mais rarement formulée avec autant de clarté : que devient une personne lorsque le soin médical a fait son travail, mais que la vie, elle, reste profondément bouleversée ?
Dar Zhor n’est pas une structure médicale. L’association n’administre aucun traitement et ne se substitue en rien aux médecins. Elle intervient ailleurs, là où le système s’arrête souvent : après le diagnostic, pendant les traitements, dans l’épuisement, l’angoisse, la solitude, la désorientation. Là où la maladie continue d’agir bien au-delà de la tumeur.
Soigner une maladie, accompagner une personne
Les progrès thérapeutiques sont réels. Les traitements évoluent, les protocoles s’affinent, les taux de survie augmentent. Pourtant, comme l’a rappelé Myriam Belghazi, médecin et fondatrice de Dar Zhor, ces avancées ne suffisent pas à elles seules.
La médecine soigne une pathologie. Elle ne peut pas, seule, absorber le choc psychologique, la fatigue extrême, la peur, ni les bouleversements familiaux, professionnels et identitaires qu’entraîne un cancer. Le diagnostic agit comme une rupture. Une fracture intime qui projette brutalement la personne dans un avant et un après. Et c’est précisément dans cet espace, ni médical, ni anodin, que l’accompagnement devient décisif.
Un des points centraux abordés lors de la conférence concerne la qualité de vie. Non comme un confort secondaire, mais comme un enjeu fondamental du parcours de soin.
Supporter les traitements, gérer la douleur, retrouver le sommeil, préserver une énergie minimale, maintenir un lien au corps et aux autres : ces dimensions conditionnent la manière dont une personne traverse la maladie, sur la durée. Elles influencent la capacité à tenir, à se projeter, à ne pas se laisser entièrement absorber par la pathologie.
La question de la prise en charge de la douleur en est une illustration révélatrice. Les échanges ont mis en lumière le poids des protocoles et des contraintes administratives qui peuvent ralentir l’accès à certains traitements antalgiques, avec une conséquence directe : des patients qui attendent, et qui souffrent, alors même que des solutions existent.
Face à ces manques, Dar Zhor propose un accompagnement organisé autour de quatre axes complémentaires, présentés par Majda Gharbi, directrice de l’association.
Le premier axe est celui de l’écoute et de l’orientation. Chaque personne est accueillie, entendue, replacée dans sa réalité propre avant toute proposition d’accompagnement.
Vient ensuite le soutien psychologique, à travers des suivis individuels, des groupes de parole et des espaces d’expression permettant de déposer ce qui ne trouve pas toujours de mots.
Le troisième axe concerne l’activité physique adaptée, pensée comme un levier essentiel pour se réapproprier son corps, retrouver des sensations et reconstruire une relation vivante à soi.
Enfin, le mieux-être au quotidien regroupe des approches complémentaires comme l’hypnose, la sophrologie, la socio-esthétique et l’accompagnement nutritionnel, afin d’aider les personnes à mieux traverser les effets secondaires et les déséquilibres induits par la maladie.
Ce dispositif repose en grande partie sur l’engagement de professionnels bénévoles, spécialistes dans leurs domaines, inscrits dans une présence régulière auprès des bénéficiaires.
Mais cette action se heurte à une réalité structurelle. Comme l’a rappelé Béatrice Beloubad, accompagner durablement suppose des ressources stables : un lieu, une équipe permanente, des charges fixes, une communication minimale pour exister et être identifiée.
Dar Zhor fonctionne aujourd’hui grâce à des dons, des partenariats ponctuels et des campagnes de sensibilisation. L’absence de reconnaissance d’utilité publique et de soutien institutionnel régulier fragilise toutefois la pérennité de l’action. La logique du financement événementiel, par nature intermittente, ne permet pas de construire sur le long terme.
Ce que Dar Zhor met en lumière, c’est une frontière. Celle où le soin médical s’arrête à la tumeur. Et celle, plus exigeante, où commence l’accompagnement d’une personne entière.
Entre ces deux espaces, il y a encore trop de vide. Et c’est précisément ce vide que cette conférence a choisi de nommer.
Texte ESJC, photos, Emmanuel Koffi
